Augmenter la présence du français sur l'Internet

Quarante pistes

27 mars 1995

Patrick Andries <pandries@alis.ca>
François Yergeau <fyergeau@alis.ca>
Projet WorldNet
Alis Technologies, Montréal, Canada

1. Mandat

Comment intensifier et promouvoir l'usage du français sur l'Internet ? Le mandat laissait beaucoup de latitude. Fidèles à cet esprit, les propositions toucheront donc à de nombreux domaines. De nombreux moyens d'assurer un meilleur rayonnement à la langue française seront proposés. Tous ne seront pas pratiques, ou même souhaitables. L'unique souhait des rédacteurs aura été d'appliquer la méthode des « remue-méninges » créatifs : ne rejeter aucune idée d'emblée. Ces propositions n'auront donc pas d'autre prétention que celle d'indiquer des pistes, d'établir la base de discussions plus approfondies et plus expertes.

L'intensification de la présence du français constitue un projet ambitieux. Projet ambitieux par le caractère fortement anglo-saxon (ou anglophile) de l'Internet. Projet ambitieux par le manque de francophones présents sur ce réseau qui se trouvent noyés parmi tous les autres locuteurs des « petites langues ». Les chances de la francophonie, dans le monde des réseaux, se trouvent grevées par la grande disparité de développement technologique et économique de ses partenaires. Les propositions énoncées ci-dessous seront donc à la mesure du défi : ambitieuses afin de pallier le retard, variées afin de prendre en compte la diversité de la francophonie.

2. Préliminaires

2.1. Préparation des esprits

Dans toute entreprise de grande envergure, il est souhaitable d'avoir l'appui des commanditaires. Dans notre cas, vu l'étendue du chantier proposé, il serait sans doute judicieux de sensibiliser les esprits de tous les francophones à l'enjeu : l'inaction linguistique dans le domaine de l'Internet mènera à une marginalisation croissante du français et donc, par voie de conséquence, de ses locuteurs.

Or si l'on peut observer un certain débat sur les conséquences économiques des réseaux informatiques -le rapport Bangemann d'inspiration libérale était très prolixe à ce sujet -on ne peut remarquer le même intérêt en ce qui concerne l'importance linguistique et culturelle. Le même rapport s'était montré très laconique et n'avait pas jugé bon de s'étendre au-delà d'un court boniment de rigueur sur la diversité culturelle européenne.

Il se dessine de plus en plus une attitude fataliste : tout le monde utilise l'anglais sur l'Internet, pourquoi la francophonie devrait-elle faire exception ? Le serveur WWW de l'Union Européenne à Luxembourg est en anglais. Face à des protestations, on - un employé de l'UE et la DGLF - répond qu'il s'agit d'un site pilote et que l'anglais est une des langues de l'Union... Après plusieurs mois, le même site semble être toujours en chantier, car il s'obstine à présenter ses documents uniquement en anglais. Insidieusement, l'anglais s'établit comme la langue de travail privilégiée de l'Union européenne. Les autres langues se trouvent de plus en plus reléguées aux seconds rôles. L'UE n'a pas le monopole d'un tel comportement. L'École des Mines de Paris héberge un serveur appelé Adminet, tout en anglais, dont la raison d'être est de donner des pointeurs sur les administrations françaises.

Afin de mobiliser toutes les énergies nécessaires pour mener à bien la promotion du français, il serait bon de :

Recommandations

1. Mander une série d'études destinées au grand public qui prouveraient l'importance du projet de la défense et de l'illustration du français sur les réseaux. Il conviendrait de mettre l'accent non seulement sur l'aspect culturel mais également sur le bien-fondé économique d'une telle action.

2. S'assurer de la diffusion de ces études. Mettre sur pied, si besoin est, un bureau de relation avec la presse.

3. Mettre sur pied une série de groupes de travail qui devra se pencher sur les détails techniques et juridiques de la mise en place effective du réseau. Ces groupes devront établir, le cas échéant, des normes qui s'appliqueraient au réseau francophone.

2.2. Volonté d'investir dans l'établissement du réseau

La promotion du français ne se fera pas sans investissements. La campagne de sensibilisation devrait déboucher sur une volonté plus grande d'investir.

2.3. Retombées culturelles et économiques

Il est évident pour les rédacteurs que les retombées culturelles et économiques d'une action de présence accrue devrait être bénéfiques pour les communautés de la francophonie.

Dans le domaine culturel, il est certain qu'une plus grande présence pourrait assurer la survie et, peut-être, l'épanouissement de la langue et de la culture françaises. Étant donnée l'importance du secteur culturel dans les échanges économiques mondiaux actuels, la présence de la francophonie sur l'Internet permettra la promotion de ses produits culturels traditionnels (livres, films, chansons) et de ceux plus modernes tels que les disques optiques compacts et les services télématiques. Une telle présence culturelle véhicule un mode de vie dans lequel s'inscrit les produits et les services usuels des pays producteurs de culture. L'impact indirect publicitaire pour ces produits et ces services ne pourrait donc qu'être bénéfique pour tous les participants au réseau.

La prise en main par la francophonie d'un réseau francophone aurait un impact économique direct non négligeable. Les fournisseurs de logiciels et de matériels francophones y trouveraient un terrain d'essai et un marché. De même, les fournisseurs de services télématiques augmenteraient leur clientèle. L'enjeu est de taille. Peut-on, en effet, laisser de grands prestataires de services tels qu'America Online, Prodigy ou Microsoft accaparer les marchés francophones ? La balance des paiements des pays francophones en pâtirait sûrement. À plus long terme, on peut aussi s'inquiéter de voir l'anglais s'imposer comme une nécessité pour une part de plus en plus grande de la population des pays francophones. Les conséquences sont effarantes : beaucoup ne sauront pas s'adapter, deviendront une charge pour la société au lieu d'actifs, ce qui grèvera l'économie générale de ces pays.

Sans anticiper sur le résultat des études dont nous recommandons la réalisation et la publication, il appert donc de manière assez évidente que l'intérêt économique même commande que l'on fournisse aux mondes de la culture et de l'information francophones le plus grand lectorat informatique possible.

3. Quatre grands axes

On peut dessiner quatre grands axes qui permettraient de rehausser la présence du français sur l'Internet :

Il est clair que l'accroissement d'un de ces quatre paramètres influera positivement sur les autres. Ainsi, si le volume d'information intéressante disponible en français venait à s'accroître plus de francophones seraient prêts à parcourir le réseau à la recherche de renseignements. Dans les sections qui suivent, on passera en revue les mesures concrètes qui permettraient d'atteindre ces quatre grands objectifs.

4. Augmenter le nombre d'usagers

4.1. Au Sud

C'est au Sud que le problème de la connexion se pose avec le plus d'acuité. Les coûts de liaison sont prohibitifs pour ces pays. La plupart du temps les coûts de communication ne sont pas dus à des considérations techniques mais plutôt à des impératifs financiers. L'État frappe les liaisons téléphoniques de lourdes charges afin de s'assurer des revenus.

Il est pourtant impératif pour la survie du français comme langue de diffusion mondiale de relier les centres névralgiques du Sud. Au niveau technique de nouvelles méthodes devraient permettre d'établir des réseaux de communications à haut débit à un prix abordable. Parmi celles-ci, il faudrait considérer les antennes paraboliques à très petite ouverture, qui semblent fort bien adaptées au genre de trafic envisagé avec un prix d'entrée fort abordable.

La mise en place d'infoports dans toutes les universités de la francophonie semblent être la mesure à préconiser. Dans le cadre de tels établissements, il est facile de prendre en charge une grande partie des frais liés à l'utilisation de l'Internet (l'entretien du matériel, des logiciels, l'instruction des usagers). Il faudrait encourager - peut-être matériellement - ces établissements à autoriser libéralement la connexion d'autres sites à leur infoport. Ces établissements pourraient, le cas échéant, percevoir des frais d'abonnement mais ceux-ci ne devraient pas être prohibitifs et nuire de la sorte à l'objectif fixé : augmenter la présence de francophones sur le réseau.

Recommandations

4. La mise en place d'un réseau d'infoports dans toutes les universités et tous les instituts de recherche francophones du monde.

5. Une étude devrait être dépêchée sur la stratégie à adopter pour assurer, grâce à ces infoports, la meilleure desserte à moindre coût.

6. Encourager une politique libérale de connexion aux infoports.

4.2. Au Nord

Au Nord, le problème ne sera pas tant l'accès à prix modique au service mais l'utilité du réseau. Aujourd'hui, il existe peu d'informations pertinentes pour le grand public. Nous aborderons ce sujet plus loin.

Il faudra cependant éviter l'apparition d'un clivage entre les connectés et les délaissés. C'est pourquoi les gouvernements devraient participer au lancement de libertels, à la mise en place de bornes Internet dans les bibliothèques et dans les écoles. De la sorte, un grand nombre de personnes qui ne peuvent s'offrir le matériel informatique et les frais d'abonnement à l'Internet pourraient malgré tout bénéficier des renseignements et des services offerts par le réseau.

En France, on devrait envisager le raccord bidirectionnel du Minitel au réseau Internet. Ce raccord devrait permettre de disposer rapidement d'une masse substantielle d'abonnés. Des problèmes d'ordre financier et technique - comment facturer les utilisateurs ? Comment assurer le secret des opérations ? - devront être réglés. Nous aborderons ces problèmes dans la section consacrée à l'augmentation du volume d'information. En sens inverse, un tel raccord élargirait la clientèle potentielle du Minitel, pour peu que les modalités de facturation soient maîtrisées.

Recommandations

7. Aide au lancement de libertels.

8. Mise en place de bornes dans les bibliothèques et les écoles.

9. Envisager le raccord bidirectionnel du Minitel à l'Internet.

5. Augmenter le volume d'information

Recommandations

10. Les gouvernements de la francophonie devraient augmenter le nombre de services au public disponibles au travers d'Internet.

Afin d'inciter un plus grand nombre de particuliers et de sociétés à utiliser l'Internet, condition sine qua non à longue échéance d'une présence de services commerciaux, les gouvernements et organismes assimilés de la francophonie devraient rendre disponibles en français le plus grand nombre de documents produits par eux :

11. Institution d'une agence de coupures de presse pan-francophone.

Il s'agit là de généraliser le très bon travail effectué par les ambassades de France en Amérique du Nord qui produisent chaque jour une revue de la presse française basée sur l'information de RFI. Il faudrait constituer un réseau qui, quotidiennement, rapporterait les manchettes des journaux francophones de leur région. Ces brèves ne devraient pas dépasser quelques pages. Cette limite dans le détail réduirait les coûts de production. De la sorte, également, ce service ne viendrait pas menacer les services commerciaux que pourraient offrir des agences de presse commerciales. Chaque grande région de la francophonie devrait être couverte. L'information pourrait être diffusée par le truchement de serveur de diffusion par messagerie (comme aujourd'hui).

12. Permettre la publicité sur le réseau francophone.

Les responsables du réseau, les gouvernements devront s'efforcer d'éliminer toute entrave à la publicité commerciale sur le réseau. En effet, le but de l'action francophone ne sera pas de se substituer au marché commercial et aux services qu'il peut offrir mais de favoriser l'émergence d'un tel marché par des mesures incitatives.

13. Service de recension et de critique culturelles.

En l'absence de service commerciaux similaires, il faudrait - en collaboration avec des revues telles que Lire - mettre sur pied un service de recension et de critique culturelles. La formule pourrait en être hebdomadaire : chaque semaine un certain nombre de nouveautés en langue française dans tous les domaines culturels (films, chansons, livres, disques optiques, logiciels) seraient examinés par des critiques reconnus. Afin d'éviter que ce genre de services ne soit perçu comme une entreprise de propagande, il serait bon d'obtenir le service de nombreux critiques et d'admettre les critiques contradictoires sur les mêmes oeuvres.

14. Serveurs francophones gouvernementaux et parapublics en français.

Tous les documents informatiques (p. ex. pages HTML) ainsi que tous les menus produits par des institutions francophones et hébergés auprès d'institutions publiques et parapubliques de la francophonie devront être en français, sans exclure, bien évidemment, la présence de documents dans d'autres langues. Les universités bénéficiant des infoports mis en place par la francophonie devraient également avoir leurs documents et interface utilisateur en français.

Cette mesure peut paraître inutile ou excessive à ceux qui ne connaissent pas l'état d'anglicisation forcenée de l'Internet. De très nombreux sites français ne présentent aucun menu en français. La carte des serveurs WWW français, sorte de vitrine de l'Internet en France, est unilingue anglaise. Le célèbre WebLouvre, hébergé et développé à l'ENST, est toujours un an après son lancement uniquement en anglais. On offre souvent l'excuse qu'il s'agit de sites non-officiels, ou encore en construction (perpétuelle ?) ; ces prétextes sont à écarter. Il faudra s'assurer que tous les documents produits par les membres du REFER le seront au moins en français. De même les pages d'accueil des serveurs francophones devront être en français. Les documents résultant de compilations provenant de pays qui ne sont pas tous francophones (p. ex listes de discussion) pourront être hébergés sans être traduits en français, bien que leurs traductions soient souhaitables.

15. Étendre les mesures linguistiques en matière d'affichage et de service à la clientèle au domaine électronique.

Le monde de la cyber-édition et des cyber-services est appelé à remplacer de nombreux services similaires traditionnels. Il est donc normal d'étendre les mesures protectrices pour la langue française que différents gouvernements ont adoptées. Dans le domaine de la publicité, tous les serveurs de la francophonie hébergés dans un pays où une loi existe déjà sur la publicité devraient mettre en application ces mêmes dispositions. Le même principe devrait s'appliquer pour les services à la clientèle : si le serveur se trouve dans un pays où une loi régit déjà la langue à employer, ces mêmes dispositions devraient s'appliquer au niveau des nouveaux services prestés à la clientèle.

16. Éliminer les entraves juridiques à la dissémination des documents.

Il s'agit ici d'un vaste et complexe domaine qui dépasse de loin les compétences des rédacteurs. La suggestion la plus sage serait l'institution au sein de la francophonie (REFER ?) d'un groupe de travail qui se pencherait sur ces problèmes. Les conclusions de ce groupe de travail pourraient être présentés aux différents gouvernements de la francophonie. Une législation harmonisée et claire au sein de la francophonie aurait l'avantage de faciliter les échanges de documents (ainsi que la résolution des poursuites judiciaires...).

17. Modification des lois régissant le dépôt légal.

Les lois régissant le dépôt légal de documents dans les différents pays de la francophonie devraient, dans la mesure où elles existent, être modifiées pour s'adapter au monde de l'électronique. Les éditeurs francophones devraient alors déposer, en sus des exemplaires papier requis par la législation actuelle, des copies électroniques de ces documents.

Ces documents ne seraient peut-être pas disponibles tels quels à tous les utilisateurs du réseau (le groupe de travail juridique devrait en délibérer) pour des raisons évidentes de droits d'auteur. Cependant, il s'agirait là d'une mesure innovatrice et peu coûteuse qui pourrait permettre :

18. Cession des droits d'auteurs pour les documents publics.

Une bonne manière d'encourager la dissémination d'information en français consisterait à permettre la copie illimitée de documents émanant de la Couronne tels que les textes de loi, les statistiques ou plus récemment les comptes rendus de commissions. Les États-Unis mettent déjà en pratique cette politique.

19. Action auprès de l'Union Européenne.

Il est tout à fait inacceptable, et les gouvernements francophones devraient le faire observer, que l'Union européenne favorise une seule langue. Si, comme on l'a prétendu au sujet du serveur de Luxembourg, il s'agit de projets pilotes, les Européens non anglophones (ce qui fait une énorme majorité) devrait faire valoir l'importance de leur langue. Pourquoi la langue de ces sites pilotes ne serait-elle pas choisie à tour de rôle parmi les langues de travail de l'Union ? L'option qui consiste à demander que tous les supposés sites pilotes soient disponibles en toutes les langues (même de travail) de l'Union ne sera sans doute pas recevable. Il semble donc préférable - et plus équitable - de proposer une rotation dans la langue initiale des projets reliés à l'autoroute de l'information.

20. Programme de numérisation d'oeuvres tombées dans le domaine public.

Les grandes oeuvres en français tombées dans le domaine public devrait être numérisées sans imposition de droits d'auteur sur la numérisation elle-même. C'est en fournissant gratuitement ces grandes oeuvres dans leurs versions originales que l'on parviendra le mieux à faire rayonner la culture française.

21. Modifier la législation en matière de chiffrement.

Le contenu francophone de l'Internet connaîtra une véritable croissance lorsqu'il y sera possible de faire des affaires, lorsque les prestataires de services pourront se faire payer pour les services qu'ils offrent. Aujourd'hui, il est à peu près impossible d'effectuer des opérations financières sur l'Internet : le chiffrement y est interdit. Mais comment pourra-t-on transférer alors en toute confidentialité des renseignements sur ce réseau ouvert à tous, alors qu'il prête le flanc à une interception extrêmement facile ?

Il est dès lors urgent de mettre sur pied un groupe de travail (au sein du REFER ?) qui proposerait aux gouvernements de la francophonie des méthodes de chiffrement qui pourraient satisfaire à la fois l'intérêt de l'État et des citoyens. Une nouvelle fois, l'harmonisation des normes et des législations ne pourrait que servir tous les acteurs francophones (États, particuliers, sociétés). L'envers de l'alternative est d'attendre les solutions (américaines ?) qui ne manqueront pas de surgir à courte échéance, avec à la clé l'imposition des agences de compensation, cyber-banques qu'implique la monétique sur réseau. Le tout en anglais seulement, évidemment.

22. Intégration du Minitel au sein du réseau.

Un groupe de travail devrait se pencher sur les obstacles à l'intégration du Minitel. Il devrait recommander des façons de surmonter ceux-ci. La vaste somme de renseignements et de services disponibles en français constituerait un avantage énorme dans la course au contenu. Les services payants du Minitel utilisés par les usagers de l'Internet devrait rester payants. Les services gratuits, tels que le 11 pendant les trois premières minutes, devrait le rester également. Afin de permettre l'utilisation de ces services, il faudrait au plus vite résoudre le problème des paiements sur l'Internet, sujet de la recommandation suivante.

23. Permettre le recouvrement de frais de service par des administrations ou des banques locales.

Afin d'assurer la viabilité du réseau francophone et donc la pérennité de la présence française, il faut permettre et même faciliter, comme on l'a fait remarquer auparavant, l'utilisation de services payants. De même pour permettre l'accès du Minitel à partir de l'Internet, il faut que les usagers de l'Internet puissent être facturés. Pour ce faire, il faudrait se pencher sur les moyens qui devraient être mis en oeuvre pour effectuer le recouvrement de frais d'abonnement ou de services. Un groupe de travail pourrait être institué pour se pencher sur ce problème.

Formules éventuelles :

Dans tous ces cas de figure, en l'absence de normes internationales - ou plus précisément états-uniennes - il s'agirait ici d'un chantier intéressant pour les entrepreneurs francophones. Il faudra, en effet :

Ces normes pourraient être définies par des groupes de travail électroniques, selon le principe des Working Groups de l'IETF, qui ne se réuniraient physiquement que pour entériner les normes ainsi établies. La charte de ces groupes de travail devrait être définie par l'autorité francophone de tutelle (le Collège du REFER ?). La tenue de telles sessions de travail - qui se dérouleraient bien entendu en français - constituerait en elle-même une augmentation dans la présence française et la promesse pour les industries participantes d'un marché intéressant. On associerait ainsi - la chose n'est guère coutumière - diffusion du français et perspective de revenus.

24. Soutenir l'effort de développement d'agences ou de réseaux de veille informatique francophones.

Il existe déjà des réseaux de veille technologique francophones sur l'Internet (p. ex. le RVTI animé par Michel Cartier de l'UQAM). Ces efforts doivent être soutenus.

25. Mettre en ligne des services linguistiques.

Les organismes tels que l'OLF devraient mettre en ligne leurs services linguistiques traditionnels. Des frais pourraient être perçus pour certaines prestations longues et coûteuses. On peut imaginer une vaste gamme de service :

26. Ouverture sur les langues partenaires et leurs cultures.

Cette recommandation peut paraître paradoxale a priori : comment l'ouverture sur des langues et des cultures partenaires au sein de la francophonie pourrait-elle être bénéfique à la langue française ? Au-delà de l'aspect relation publique qui consiste à se mettre du côté du protecteur des minorités contre l'hégémonie anglo-saxonne, ce qui est de bonne guerre, on peut espérer que les gens intéressés par la culture de certains de ces partenaires (p. ex. le Viêt-nam) mais qui ne connaîtront pas la langue locale (ici le vietnamien) se rabattront sur le français présent d'office (recommandation numéro 14 ci-dessus) sur ces sites pour obtenir l'information recherchée.

6. Augmenter la visibilité, rediriger le flux vers la francophonie

L'Internet est toujours un réseau américain aujourd'hui. Le furetage sur celui-ci nous apprend vite que tous les chemins « éthéraux » semblent mener non pas à Rome mais aux États-Unis. À quoi cela tient-il ? Voici quelques-unes des causes de ce modèle centripète :

Recommandations

27. Assurer le confort de furetage sur les grands axes francophones.

Dans un premier temps ceci signifierait sans doute un investissement important : augmentation de la bande passante. Si l'introduction de services commerciaux pouvait se faire rapidement ces grands axes pourraient - du moins dans le Nord - être rentable à courte échéance.

Pour le Sud, on peut imaginer deux solutions :

  1. élaboration d'applications (appels d'offres aux entreprises francophones) pour augmenter le confort sur les liaisons disponibles au Sud (peu d'avenir...) ;
  2. utilisation de nouvelles techniques telles que les antennes paraboliques à très petites ouvertures (plus intéressant à moyen terme).

28. Éviter que toutes les lignes passent par les États-Unis.

Lors de l'élaboration d'un réseau francophone, on devra porter l'attention nécessaire au fait qu'il n'est pas nécessairement judicieux que la quasi-totalité des liaisons internationales passe par les États-Unis. Cette remarque peut paraître superflue quand on ignore que les liaisons entre la France et le Québec passent souvent par la Grande-Bretagne et les États-Unis. Il est aussi bon de noter que la disparition récente de la dorsale subventionnée NSFnet, remplacée par des opérateurs commerciaux, rend l'intérêt économique d'une telle concentration tout à fait aléatoire, voire illusoire.

Ce passage obligé par les États-Unis pose un certain nombre de problèmes au niveau de la maîtrise du réseau, de la possibilité d'interception et d'écoute d'échanges électroniques de la part des États-Unis ainsi que la mainmise totale sur les normes de télécommunications et (bientôt) de chiffrements et d'opérations monétiques. Cette dépendance par rapport au bon vouloir des États-Unis - dont l'ordre du jour peut être différent de celui de la francophonie - peut gravement nuire à la mise en place de politiques adaptées aux problèmes spécifiques à la francophonie.

29. Augmenter le contenu francophone (voir ci-dessus).

Une des manières les plus sûres de rediriger le flux vers la francophonie, consiste à offrir des services de qualité. Les recommandations préconisées dans la section 5 se veulent des amorces d'un plan d'action.

30. Disponibilité de serveurs francophones de recherche à travers l'Internet.

Les serveurs de recherche les plus populaires aujourd'hui sur l'Internet sont tous situés aux États-Unis. Bien que ces serveurs soient objectifs dans leurs recherches, la masse d'information en anglais est si volumineuse que les documents en français passent souvent inaperçus, plus particulièrement quand une certaine homographie existe entre les clés de recherche écrites en français et en anglais.

31. Politique de préférence pour les logiciels qui respectent le français.

Les membres du réseau francophone devraient mettre en pratique une politique d'achats préférentiels officielle pour les logiciels qui respectent le français, c'est-à-dire :

32. Subventionner une dorsale francophone.

La structure de prix actuel de l'Internet tend à gommer les distances. À l'heure actuelle, cette structure de prix favorise l'uniformisation et l'anglicisation massive des renseignements proposés. Le retrait financier de la NSF - en termes clairs la fin de la subvention américaine de la dorsale du réseau - pourrait signifier la fin prochaine de ce mode de facturation. L'usager doit de plus en plus payer pour sa liaison avec l'Internet.

Une manière simple de rediriger le flux vers la francophonie consisterait à subventionner une partie du réseau afin de le rendre plus attrayant pour les francophones ou pour les étrangers qui désirent s'adresser à des sites francophones. Ainsi le coût entre les infoports du réseau pourrait-il être nul alors que l'utilisation de bande passante sortante (à l'extérieur du réseau) pourrait être mesurée et éventuellement facturée.

33. Battage publicitaire.

Le bureau de relation avec la presse, dont il a été question au numéro 2, devra s'assurer que les nouveaux produits ou services francophones reçoivent la publicité qu'ils méritent. Ce bureau devra agir constamment auprès de la presse pour vanter ces produits et occuper de la sorte les meilleurs espaces rédactionnels.

Ce service de presse pourrait d'ailleurs agir comme éditeur d'une rubrique « Quoi de neuf ? » sur laquelle pointerait d'office les fureteurs francisés.

34. Sites connus et spécialisés dans l'écoulement de graticiels francisés.

Des sites d'écoulement de graticiels et de partagiciels francisés devraient être mis sur pied. Le bureau de relation avec la presse devrait attirer l'attention de la presse sur les dernières additions disponibles.

7. Mieux gérer les langues, leurs spécificités (balisage, traduction, transport)

Une des manières d'améliorer la présence du français est tout simplement de mieux le gérer au niveau technique. Voici quelques recommandations qui devraient permettre de mieux prendre en considération les spécificités du français. Le résultat de cette prise en compte est souvent insoupçonné.

Recommandations

35. Introduction de balises indiquant la langue, là où les normes le permettent.

Les logiciels utilisant ces balises devraient être privilégiés par rapport aux autres. Les fureteurs actuels ne satisfont pas ces critères, même s'il est possible de le faire sans contrevenir aux normes actuelles. Il est tout simplement impossible aujourd'hui d'utiliser (grâce à une option de configuration simplissime) les possibilités déjà offertes par les protocoles sous-jacents.

Cette négligence est intolérable. Les logiciels mis sur les réseaux francophones devraient utiliser pleinement le potentiel offert par les normes actuelles.

36. Favoriser la normalisation en français, pour le français.

De nombreuses normes, Internet, ISO ou autres, sont encore en développement, ou encore évoluent de façon compatible avec la pratique d'aujourd'hui. Il importe de favoriser la normalisation de balises de langue là où elles n'existent pas et de lever par le biais des normes les obstacles techniques à l'utilisation du français (et autant que faire se peut des langues partenaires) sur les réseaux.

Le français étant une des trois langues officielles de l'ISO, il conviendrait aussi d'encourager et de favoriser la publication simultanée des versions française et anglaise des normes pertinentes. Les longs retards observés, dans le meilleur des cas, obligent les acteurs à utiliser les versions anglaises pour rester à jour, au détriment de la dissémination de la terminologie française dans ces domaines.

37. Traduction automatique.

Un obstacle majeur à la présence accrue de francophones sur l'Internet est la barrière linguistique - tout est en anglais. La traduction automatique, qui nécessite évidemment des balises de langue pour identifier la source de la traduction, peut en partie pallier cet obstacle. Une fois sur l'Internet, les utilisateurs francophones préféreront bien sûr des documents en français à des traductions automatiques nécessairement de mauvaise qualité, ce qui favorisera les fournisseurs francophones.

38. Recherche indexée en langage naturel.

L'accès à la documentation de langue française est présentement handicapé par l'inadaptation des outils de recherche indexée aux langues autres que l'anglais. Des outils mieux adaptés, utilisant les balises de langue et d'éventuelles balises de domaine technique permettant de résoudre les ambiguïtés, s'avèrent nécessaires pour lever cette hypothèque. Il conviendrait de favoriser la création de tels outils, ne serait-ce que pour soutenir la concurrence des outils mal adaptés librement disponibles sur l'Internet, et de les favoriser en vertu de la recommandation 31 ci-dessus.

39. Éviter de pénaliser les langues autres que l'anglais par la menace de faible rayonnement

Aujourd'hui, beaucoup de fournisseurs d'information sur l'Internet penchent vers l'anglais par crainte de limiter leur auditoire ; c'est par exemple l'excuse fournie par l'auteur du WebLouvre pour l'unilinguisme anglais de son serveur. Cette crainte est souvent mal fondée, mais un moyen d'y pallier est de faire en sorte que les traducteurs automatiques et outils de recherche adaptés marchent aussi en sens inverse, permettant l'accès à la documentation en français aux locuteurs d'autres langues. Il importe donc que les outils adaptés puissent présenter leur interface utilisateur en bon nombre de langues, et non pas seulement en français.

40. Assurer le transport et l'affichage de langues autres que l'anglais

Encore aujourd'hui, et malgré l'informatisation avancée de nombreux pays non-anglophones, seuls les documents en langue anglaise sont assurés d'un transport et d'un affichage correct sur les réseaux informatiques. La messagerie X.400, pourtant normalisée au niveau international et adoptée par de nombreux gouvernements, s'accommode fort mal du français. L'Internet ne fait guère mieux (mais est plus flexible et partant, prometteur à ce chapitre), et les passerelles X.400 - Internet sont des filtres anglicisants quasi assurés. Cet état de fait doit cesser, et la francophonie devrait s'y appliquer.

Il ne faut pas négliger les langues partenaires, dont l'importance pour la francisation de l'Internet fait l'objet de la recommandation 26. Beaucoup de ces langues souffrent encore plus que le français des limites techniques du réseau, et les solutions sont au moins en partie communes.